Robert Gleave, professor at University of Exeter

Gleave Robert

Disciplines : DroitÉtudes islamiquesHistoire
Poste et institution de provenance : Professeur à l'Université d'Exeter
Type de résidence : Résidence annuelle
Chaire : Chaire A*Midex / Iméra – Averroès : L’Islam méditerranéen
Programme de recherche : Méditerranée
Période de résidence : Septembre 2024-Janvier 2025
Actuellement en résidence à l'Iméra

Projet de recherche

La loi des minorités : jurisprudence chez les minorités méditerranéennes

Résumé du projet

Juifs, chrétiens et musulmans vivent parfois comme les groupes dominants ou « normaux » dans certains contextes méditerranéens, mais se retrouvent en minorité et marginalisés dans d’autres. Même avec la prédominance d’une tradition, il existe parfois un aspect sectaire : les normes contextuelles du sunnisme, du catholicisme ou du christianisme orthodoxe peuvent créer des minorités au sein des communautés coreligionnaires. Dans le contexte islamique, les Ibadis et les chiites (duodécimains, ismaéliens et ‘alawites) sont des minorités religieuses musulmanes dans un contexte à majorité musulmane sunnite. En Égypte, les chrétiens sont une minorité (bien qu’ils comprennent en réalité de nombreuses communautés distinctes).

La recherche de Robert Gleave se concentre sur la jurisprudence religieuse développée par les savants issus de communautés vivant en tant que minorités religieuses dans la région méditerranéenne. L’étude concerne les communautés vivant dans des zones où l’islam est perçu comme la norme religieuse et culturelle, et où les minorités – qu’elles soient musulmanes ou appartenant à d’autres religions – disposent souvent de l’espace nécessaire pour opérer leurs propres systèmes juridiques religieux, issus de leur propre tradition de pensée juridique. Son travail aborde la question de savoir comment ce statut de minorité a influencé la construction de la loi religieuse par les savants de la communauté minoritaire. La recherche consistera en une étude approfondie de trois contextes distincts : les chiites duodécimains au Liban, les chrétiens en Égypte et les Ibadis en Algérie. Comment la loi religieuse développée par ces communautés a-t-elle reflété (ou ignoré) leur statut de minorité ? Bien que la plupart des lois religieuses supposent que la communauté est en position de pouvoir, ces communautés ont vécu en tant que minorités pendant des siècles. Quels mécanismes juridiques les savants de ces groupes ont-ils développés pour faire face à leur statut de minorité, tout en affirmant la supériorité religieuse de leur communauté ?

Premièrement, l’Égypte : les minorités religieuses dans l’Égypte médiévale ont attiré de plus en plus l’attention des chercheurs ces dernières années. La recherche sur les communautés chrétiennes d’Égypte vivant sous domination musulmane en est encore à ses débuts. En se concentrant spécifiquement sur l’application de la loi, la documentation juridique juive a été examinée de manière plus détaillée que celle disponible pour les communautés chrétiennes de la période médiévale. Les traités et monographies qui exposent le fonctionnement théorique de la loi ecclésiastique, ainsi que les réflexions théologiques sur le statut de cette loi sous un contrôle politique non chrétien, constituent les principales sources ici. Il existe plusieurs de ces traités, rédigés par des érudits chrétiens de l’époque (comprenant à la fois des membres du clergé et des laïcs), qui exposent cette tradition. Rédigés principalement en arabe, ils étaient souvent présentés aux dirigeants ayyoubides ou mamelouks comme des descriptions de l’organisation de la communauté chrétienne sous domination musulmane. L’un de ces traités est au centre de cette recherche : le Nomocanon d’al-Ṣāfī Ibn ʿAssāl (mort en 1260). Ce travail existe sous de nombreux manuscrits, et une édition a été publiée au Caire en 1908. Ibn ʿAssāl marche sur une corde raide en restant fidèle à sa communauté chrétienne et à sa tradition (considérant les forces musulmanes occupantes comme inévitablement hostiles) tout en cherchant un compromis avec le pouvoir politique pour préserver la vie communautaire fidèle de la communauté chrétienne.

Deuxièmement, le Liban : au XIXe siècle, il existait de nombreuses communautés chiites, vivant en minorité sous la domination musulmane sunnite (ottomane). Cependant, ce sont les chiites duodécimains qui ont développé une théorie juridique sophistiquée sur plusieurs siècles, en vivant en minorité dans des contextes à majorité sunnite. À la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, les communautés chiites duodécimaines de Jabal Amil, de la vallée de la Bekaa et d’autres régions à l’ouest de Damas vivaient cette condition de minorité, ce qui a conduit à une vision religieuse précise parmi les savants de la communauté. Il y avait une tendance à envoyer toute personne montrant des promesses académiques dans les grandes villes sanctuaires d’Irak et d’Iran. Les villes de Najaf, Kerbala et Bagdad en Irak, et Mashhad et Ispahan en Iran, accueillaient des séminaires où des érudits de la diaspora chiite duodécimaine étudiaient ; les plus prometteurs restaient pour y faire carrière, mais beaucoup revenaient dans leur pays natal après leurs études pour occuper des postes de direction religieuse au sein de leurs propres communautés. Ce trafic académique permettait aux tendances et développements des villes sanctuaires de se diffuser dans des centres académiques plus provinciaux. Le principal développement religieux dans les villes sanctuaires à cette époque fut le déclin de l’école juridique Akhbari et la montée de l’Usulisme. Les écrits de ces savants chiites du monde musulman, y compris leurs théories sur le droit et son fonctionnement, sont la source principale de cette recherche. Dans les commentaires (shuruh) et les gloses (hawashi), les savants ont développé une « jurisprudence minoritaire » étroitement liée à celle des villes sanctuaires irakiennes (la plupart des savants libanais se rendant en Irak plutôt que dans les villes séminaires iraniennes) ; mais elle était également profondément informée par la situation des communautés chiites vivant sous le contrôle non chiite (c’est-à-dire ottoman).

Enfin, l’Algérie : dans le contexte d’un État-nation moderne avec un ethos largement laïque (comme l’Algérie), la domination politique d’une seule tradition religieuse est peut-être moins explicite. Néanmoins, le cadre du discours public, les individus occupant des postes de pouvoir politique et l’application de la loi (notamment en ce qui concerne les questions dites de « statut personnel ») indiquent tous le maintien du statut normatif d’un cadre juridique et éthique sunnite (et spécifiquement malékite). Dans cette recherche, Robert Gleave se propose d’étudier la production des fatwas au sein de la communauté ibadite algérienne. Peut-être le savant le plus connu, Cheikh Ibrahim Bayyud (décédé en 1981), est célèbre pour ses fatwas. À bien des égards, ils présentent une qualité apparemment routinière qui, pour les érudits du droit islamique, pourrait les rendre inintéressants. Cependant, cette qualité prosaïque rend Bayyud et ses fatwas significatifs ; elle montre un lien avec les tendances plus larges du discours islamique, et un exemple de la manière dont une jurisprudence minoritaire tente, en fait, de se positionner comme « banale » au sein du milieu plus large. Bayyud et d’autres sont intéressants pour comprendre la jurisprudence minoritaire car leur production académique couvre à la fois la période coloniale et celle de l’indépendance (il a donc travaillé en tant que savant d’une communauté religieuse minoritaire sous deux régimes politiques).

Biographie

Robert Gleave est professeur d’études arabes à l’Institut des études arabes et islamiques de l’Université d’Exeter, au Royaume-Uni. Entre septembre 2024 et janvier 2025, il sera titulaire de la chaire Averroès/Ibn Rushd en islam méditerranéen à l’Iméra. Ses recherches portent sur l’histoire du droit islamique, avec un intérêt particulier pour l’herméneutique juridique dans la tradition chiite.

Il a dirigé des projets internationaux liés à ces thèmes, notamment Legitimate and Illegitimate Violence in Islamic Thought (LIVIT) et Islamic Reformulations, soutenus par les agences de financement de l’enseignement supérieur du Royaume-Uni, AHRC et ESRC, ainsi que Law, Authority and Learning in Imami Shi’ite Islam (LAWALISI), financé par le Conseil européen de la recherche. Il est l’auteur de Inevitable Doubt: Two Shīʿī Theories of Jurisprudence (Leiden : Brill, 2000), Scripturalist Islam: The History and Doctrines of the Akhbārī Shīʿī School (Leiden : Brill, 2007), Islam and Literalism: Literal Meaning in Interpretation in Islamic Legal Theory (Edinburgh : EUP, 2012), ainsi que de plusieurs articles et chapitres de livres situant la jurisprudence chiite dans le contexte plus large du droit et de la pratique islamiques

Appels à candidature

Les résidences de recherche que propose l’Iméra, Institut d’études avancées (IEA) d’Aix-Marseille Université, s’adressent aux chercheurs confirmés – académiques, scientifiques et/ou artistes. Ces résidences de recherche sont distribuées sur quatre programmes (« Arts & sciences : savoirs indisciplinés », « Explorations interdisciplinaires », « Méditerranée » et « Utopies nécessaires »).