
Asensio Robles
Projet de recherche
Uncharted Mediterranean : la fin des dictatures d’Europe du Sud à la croisée de la décolonisation, de la mondialisation et de la guerre froide (1956-1977).
Résumé du projet
Uncharted Mediterranean vise à offrir une vue d’ensemble régionale et mondiale de la chute des dictatures grecque, portugaise et espagnole au milieu des années 1970. Il s’articule autour de trois questions interdépendantes : Comment trois régimes autoritaires distincts, chacun avec ses propres caractéristiques et sa propre trajectoire, se sont-ils effondrés en l’espace de dix-neuf mois ? Cette simultanéité est-elle le fruit d’une coïncidence ou le résultat de forces mondiales plus vastes ? Et comment situer cette expérience dans le contexte plus large des transformations des années 1970 ?
Comme hypothèse de travail, le projet propose que la Méditerranée a joué un rôle central dans la crise de ces régimes en les entraînant dans des processus interdépendants de décolonisation, de mondialisation et de détente de la guerre froide. À travers ce prisme, Uncharted Mediterranean cherche à éclairer non seulement l’histoire de l’Europe du Sud, mais aussi le monde (et la mer) qui l’entoure. De la crise pétrolière du Moyen-Orient à la décolonisation de l’Afrique, en passant par la montée de l’eurocommunisme, il présente la Méditerranée comme une unité d’étude unique en soulignant les interdépendances qu’elle a créées à un moment critique de la mondialisation.
Des courants qui s’entrecroisent
La fragmentation géographique et thématique a empêché les chercheurs d’examiner les transitions démocratiques de l’Europe du Sud dans le contexte de la crise pétrolière. Les études interdisciplinaires sur l’interdépendance économique et les relations Nord-Sud ont placé le Moyen-Orient et les pays arabes exportateurs de pétrole au cœur des nouveaux récits de la mondialisation. Pourtant, si l’influence économique mondiale de ce sujet est désormais bien établie, ses répercussions régionales sur l’Europe du Sud restent insuffisamment explorées.
À l’inverse, les historiens de l’Europe du Sud (Portugal, Espagne, France, Italie et Grèce) ont principalement poursuivi des interprétations des années 1970 axées sur l’intérieur ou sur l’Occident. Bien que le rôle des forces économiques soit largement reconnu, une grande partie de ces travaux a mis l’accent sur les réformes politiques menées par les élites, les mobilisations populaires, les contraintes de la guerre froide et l’intégration européenne.
Ce projet cherche à offrir une nouvelle perspective en canalisant ces courants distincts dans un récit unifié. En prenant la démocratisation de l’Europe du Sud comme point central, la Méditerranée comme cadre et la crise pétrolière comme fil conducteur, Uncharted Mediterranean explore la manière dont les perturbations mondiales et les interdépendances régionales ont imbriqué la démocratisation de l’Europe du Sud, la décolonisation et la détente de la guerre froide.
L’histoire de trois rives
L’exploration de l’interconnexion entre l’économie mondiale, la Méditerranée et l’Europe du Sud se fera selon trois axes principaux : Est, Sud et Nord.
La première section, « Est », commence sur les rives orientales de la Méditerranée. Elle donne un aperçu du processus de décolonisation économique, qui a culminé avec le choc pétrolier de 1973 au Moyen-Orient et la déclaration de 1974 de l’Assemblée générale des Nations Unies pour un nouvel ordre économique international. L’accent est ensuite mis sur l’impact immédiat de la crise énergétique mondiale sur les économies de la Grèce, du Portugal et de l’Espagne, à un moment où l’agitation sociale s’intensifie.
La deuxième partie, « Sud », se penche sur les conflits à l’étranger des trois dictatures entre 1974 et 1975. Elle explore la manière dont la mobilisation syndicale et politique croissante en Grèce, au Portugal et en Espagne s’est entremêlée avec les conflits à Chypre, en Angola et au Sahara occidental. L’analyse montre comment ces tensions à l’étranger — avec des répercussions en Algérie, au Maroc, en Mauritanie et en Turquie — se sont combinées à une détresse économique croissante à l’intérieur du pays pour pousser les régimes au bord de l’effondrement.
La dernière partie, « Nord », se termine par une vue d’ensemble de la Méditerranée septentrionale entre 1975 et 1976. Elle examine comment la démocratisation de l’Europe du Sud a alimenté la croissance des mouvements politiques anti-OTAN en Grèce, au Portugal et en Espagne démocratiques, et comment leur expérience a contribué à propulser de nouvelles tendances politiques (l’eurocommunisme) en Italie et en France. Le projet s’achève en 1977, lorsque les trois transitions de l’Europe du Sud sont entrées dans leur phase de consolidation démocratique et que l’élan de l’eurocommunisme a commencé à s’essouffler.
La Méditerranée à l’heure de la mondialisation
Les avantages de la fusion des littératures sur la décolonisation et l’histoire de l’Europe du Sud à travers le prisme de la crise pétrolière sont difficiles à surestimer. Elle brouille les lignes qui séparent les deux approches théoriques, les aidant à transcender la spécialisation thématique et ouvrant la voie à une fertilisation transversale. De plus, en utilisant la Méditerranée comme point d’ancrage narratif commun, il propose de nouveaux espaces inexplorés à travers lesquels étudier la mondialisation, l’interdépendance économique, la transformation des régimes politiques et l’évolution de notre époque.
Une telle approche est d’autant plus nécessaire à la lumière des défis actuels. Avec le cinquantième anniversaire de la révolution des œillets, la chute de la junte grecque et la mort du général Francisco Franco, un nouvel élan est apparu pour commémorer les transitions de l’Europe du Sud et leur intégration réussie à l’Occident. Ce n’est peut-être pas une coïncidence si le triomphalisme occidental s’épanouit alors que le discours de la « forteresse Europe », qui ne cesse de se développer, évoque la Méditerranée comme un espace de frontière, de déconnexion et de tragédie humaine.
Ce n’est pas le point de vue qu’offre ce projet. En se penchant sur les origines économiques des transitions démocratiques en Europe du Sud, Uncharted Mediterranean comble une lacune dans la littérature scientifique. Mais, plus profondément, il aborde également les débats publics en montrant comment la Méditerranée a été historiquement un espace critique d’interaction mondiale et régionale – un espace sans lequel même l’histoire de la démocratisation européenne ne peut être pleinement comprise.
Biographie
Asensio Robles est un historien de la mondialisation et de la guerre froide. Il a obtenu son doctorat à l’Institut universitaire européen en 2024, avec une thèse sur la crise économique des années 1970 et son rôle dans l’effondrement du régime franquiste et l’émergence d’une coopération internationale sur l’Espagne démocratique. Le manuscrit révisé de cette thèse est actuellement examiné par les Presses de l’Université de Caroline du Nord (série InterConnections).
Mêlant histoire internationale et économie politique, ses recherches ont été soutenues par des organisations telles que le History and Political Economy Project (2024 Summer Research Grant), la Business History Conference (2024) Henry Kaufman Financial History Research Fellowship) et la Transatlantic Studies Association (2021 DC Watt Prize).
À Iméra, il ira au-delà de son expertise sur l’Espagne pour lancer une étude comparative sur la Grèce, le Portugal et l’Espagne des années 1970, dans le cadre d’un nouveau projet plus vaste. Son travail consistera à élargir le champ de ses recherches en s’appuyant sur la littérature de pointe consacrée à la décolonisation économique et aux relations Nord-Sud.
M. Robles est actuellement professeur adjoint à l’université pontificale de Comillas à Madrid, en Espagne, et est rédacteur en chef de la Fondation du prix Toynbee.