Danielle Beaujon, professeure adjointe de Criminologie, Droit & Justice et Histoire à l'Université de l'Illinois à Chicago, 2022.

Beaujon Danielle

Disciplines : CriminologieDroitHistoireJustice
Poste et institution de provenance : Professeure adjointe de Criminologie, Droit & Justice et Histoire à l'Université de l'Illinois à Chicago
Type de résidence : Résidence annuelle
Chaire : Chaire Sciences Po Aix / Iméra – Albert Hirschman : Les passions identitaires entre Europe et Méditerranée
Programme de recherche : Méditerranée
Période de résidence : Février – Juillet 2025

Projet de recherche

Criminaliser les Casbahs : La police des Nord Africains à Marseille et Alger, 1918-1954

Résumé du projet

Mon projet de livre, Criminaliser les Casbahs : La police des Nord-Africains à Marseille et Alger, 1918-1954, examine la relation quotidienne entre la police et les Nord-Africains dans ces deux villes portuaires méditerranéennes. Les policiers français étaient obsédés par les dangers qu’ils croyaient se cacher dans les ruelles étroites et densément peuplées des casbahs de Marseille et d’Alger, deux villes revendiquées par la France mais séparées par la Méditerranée. À Alger, la casbah faisait référence à l’ancienne citadelle habitée par les Algériens « indigènes », mais les journalistes de Marseille ont approprié le terme pour décrire les quartiers d’immigrants nord-africains de leur ville.

En m’appuyant sur deux études de cas locales, je soutiens que la police racialise des Nord-Africains à Marseille et à Alger en se basant non seulement sur des codes visuels de la race, mais aussi sur la manière dont les pratiques policières cartographient les idées de race sur l’espace urbain. Au-delà de l’identification des schémas résidentiels, le discours policier associe les espaces perçus comme algériens – les « casbahs » – à une forme particulière de criminalité, qu’ils insistent être intrinsèquement algérienne et masculine. En délimitant et en racialisant l’espace, la police française a créé des méthodes répressives pour contrôler les corps nord-africains tout en proclamant défendre les idéaux républicains de justice aveugle à la couleur. En examinant les histoires liées de la migration, de la répression et du crime dans deux villes, mon projet met en lumière le rôle des préoccupations locales et des décisions individuelles dans la formation de la police impériale.

Mon accent sur les expériences interpersonnelles montre également les fissures au sein de la police coloniale, démontrant que les histoires institutionnelles seules ne peuvent expliquer la relation complexe et interdépendante entre les policiers et les policed. La police invasive, souvent violente et pourtant intime des Nord-Africains en Méditerranée française brouillait les lignes entre le politique et le personnel, élargissant le spectre du pouvoir policier avec des conséquences durables pour la police postcoloniale.

Mon livre offre de nouvelles perspectives sur la police coloniale en mettant en avant l’histoire locale et quotidienne. La police des Nord-Africains dans le monde méditerranéen connecté reposait fondamentalement sur le monopole légitime de l’usage de la force par la police. La violence sous-tend l’essence de l’institution policière et marque la pratique policière depuis les premières itérations de la police organisée. Pourtant, si la violence était omniprésente, l’usage de la violence par les policiers sur les corps nord-africains s’est développé en relation avec les discours impériaux de l’infériorité raciale et la puissance coloniale française, ainsi que les relations de pouvoir et d’opposition locales et individuelles. Au-delà d’une étude institutionnelle de la brutalité policière, ma recherche examine la nature personnelle et relationnelle de la violence policière. Les limites de la force « légitime » ont évolué au fil du temps, au gré des contextes politiques variés et des priorités locales qui modifiaient les outils disponibles pour les policiers. De plus, mon travail remet en question les frontières imposées des études de la police coloniale en incluant les espaces métropolitains et coloniaux dans un cadre analytique unique. Ce faisant, je montre comment les connexions forgées par les échanges constants d’informations, de personnel et d’expertise ont formé la police urbaine. L’analyse des différences et des similitudes dans la police des Algériens à Marseille et à Alger me permet de déterminer ce qui était distinctement local et ce qui était transméditerranéen dans les dynamiques de pouvoir, de racialisation et de subjectivité coloniale dans ces deux villes.

Méthodologie :

Ma méthodologie tisse un mélange de sources locales et nationales en français et en arabe, produisant une histoire intime de la police coloniale. J’examine des documents créés par les policiers français à Marseille et à Alger, y compris des notes d’enquête, des dossiers individuels, des circulaires de politique et des rapports quotidiens et hebdomadaires détaillés sur la criminalité. Il y a un risque à s’appuyer autant sur des sources policières officielles. Les rapports de police fournissent des descriptions richement tentantes de la vie quotidienne et des rencontres routinières avec la police à Marseille et à Alger. Cependant, les policiers tendent à présenter leurs récits comme des observations objectives. Pourtant, ces récits sont loin d’être neutres.

Pour contrer ce biais inhérent, je questionne délibérément les dossiers de police. En m’engageant avec les sources algériennes, en particulier les archives de la presse, je mets en lumière les stratégies développées par les Algériens pour résister à l’intervention policière. J’essaie également de lire les documents policiers « à contre-courant ». Avec cette méthodologie, je propose une histoire imaginative de la police, m’engageant avec les événements tels qu’ils ont été enregistrés par les policiers mais utilisant également des compréhensions contextualisées des documents pour suggérer des interprétations alternatives. À travers des descriptions détaillées d’incidents individuels, je tisse une histoire de la police qui explore plusieurs versions du passé et cherche à investiguer les motivations, les émotions et les conséquences, malgré le silence fréquent de mes sources sur ces sujets.

Biographie

Danielle Beaujon est professeure adjointe de Criminologie, Droit & Justice et Histoire à l’Université de l’Illinois à Chicago. Elle a obtenu son doctorat avec distinction du programme conjoint en Histoire et Études françaises de l’Université de New York en 2021. Elle a précédemment obtenu un double B.A. en Histoire avec distinction et en Études françaises et européennes à l’Université Vanderbilt. Danielle est une historienne dont les recherches portent sur la police, la race et le pouvoir dans un contexte global.

Les recherches actuelles de Danielle examinent la relation intime et opposée entre les policiers et les Nord-Africains dans un monde franco-méditerranéen connecté. Ses recherches ont été soutenues par l’Institut américain pour les études maghrébines, le prix Robert Holmes pour les études africaines, la bourse de recherche Michel Beaujor, la bourse Remarque Institute-École Normale Supérieure et la bourse d’été du ministère américain de l’Éducation pour les langues étrangères et les études régionales. Son article « Policing Colonial Migrants » a reçu le prix Nupur Chaudhuri du Conseil de coordination pour les femmes en histoire, récompensant le meilleur article par un auteur débutant.

Appels à candidature

Les résidences de recherche que propose l’Iméra, Institut d’études avancées (IEA) d’Aix-Marseille Université, s’adressent aux chercheurs confirmés – académiques, scientifiques et/ou artistes. Ces résidences de recherche sont distribuées sur quatre programmes (« Arts & sciences : savoirs indisciplinés », « Explorations interdisciplinaires », « Méditerranée » et « Utopies nécessaires »).