À travers une série de présentations ethnographiques et un atelier participatif, cette journée d’étude, organisée par Alihan Gök, titulaire de la chaire LEST/Iméra pour le second semestre 2024-2025, propose d’explorer les pratiques concrètes du travail de livraison à travers différents terrains ethnographiques situés à Barcelone, Istanbul, Marseille et Mexico-City.

Dessin au fusain en noir et blanc illustrant la problématique du travail des livreurs : pratiques, méthodes et perspectives à Barcelone, Marseille, Istanbul et Mexico, posée lors de l'événement éponyme organisé par Alihan Gök, chaire LEST/Iméra, en juin 2025.

Image illustrative générée par I.A à partir de l’une des vidéos d’Alihan Gök.

Les livreurs à deux roues sous l’emprise du marché

Le travail de livraison à vélo ou à moto — souvent perçu comme une activité provisoire, flexible ou “libre” — est en réalité marqué par des formes de dépendance invisibilisées, des pressions économiques et psychiques fortes, ainsi qu’un effacement des responsabilités de ceux qui prennent les décisions. Ce travail repose sur une combinaison complexe d’efforts physiques intenses, d’exposition aux dangers urbains, d’injonctions algorithmiques, et de solitude structurelle. Les livreurs se trouvent isolés dans l’espace public, sans encadrement visible, sans protections sociales formelles, et pourtant soumises à un contrôle serré des plateformes à travers les applications numériques.

Dans ce contexte, les travailleurs sont exposés aux risques du marché : précarité de l’emploi, absence de garantie salariale, brouillage entre vie privée et professionnelle, fatigue physique et mentale, vulnérabilités en matière de santé, gestion algorithmique intransparente, discriminations raciales ou de genre, entraves à la syndicalisation et faiblesse de la protection sociale.

Face à cette réalité, les représentations oscillent entre invisibilisation (les livreurs comme éléments anonymes du paysage urbain) et victimisation ponctuelle (accidents, conflits). Mais trop peu d’attention est portée à l’expérience vécue du travail, à ses rythmes, à ses gestes, à ses significations.

Le travail des livreurs sous le prisme de recherches ethnographiques

C’est dans cette perspective que s’inscrit cette journée d’étude qui propose d’explorer les pratiques concrètes du travail de livraison à travers une série de recherches ethnographiques menées à Marseille, Istanbul, Barcelone et Mexico-City. Ces enquêtes s’appuient sur des méthodes d’observation directe, de shadowing, d’entretiens et de captation visuelle, pour rendre compte du quotidien des livreurs, dans leurs interactions avec la ville, avec la plateforme, avec les autres et avec eux-mêmes.

L’objectif de cette journée sera donc double : documenter finement les réalités du travail de livraison dans différents contextes urbains et culturels, et interroger nos outils de recherche face à un phénomène mobile, fragmenté et difficile à saisir par les méthodes classiques.

Les intervenants et intervenantes partageront leurs enquêtes sur les livreurs à moto ou à vélo afin d’examiner les rythmes du travail ubérisé, les rapports à la ville, les relations aux plateformes, mais aussi les formes d’organisation et de résistance qui en émergent.

Programme de la journée d’études

  • 9h30-10h30 : Discours d’ouverture d’Enrico Donaggio, suivi par le keynote d’Antonio Casilli (en visio) avec un temps de questions/réponses.
  • 10h30-12h00 : Présentations de recherche (20 minutes chacune) par Fabien Lemozy, Arthur Guichoux, Claire Burban, Alihan Gök, Federico de Stavola.
  • 12h00 – 12h30 : Q&A et discussion avec les participants.
  • 12h30 – 14h00 : Pause déjeuner
  • 14h00 – 16h30 : « Atelier shadowing : outils pour une éthographie mobile » modéré par Thierry Berthet.
  • 16h30 – 17h00 : Retour collectif, partages d’expériences, clôture.

Ce temps collectif a pour ambition de faire dialoguer la recherche académique, les pratiques de terrain, et les formes de représentation artistique ou visuelle. Il s’adresse aux chercheurs, aux étudiants, mais aussi aux travailleurs, aux militants, aux curieux de la ville et du travail.

Dans un monde où les formes d’emploi se redéfinissent à grande vitesse, il devient crucial de poser un regard attentif, précis et situé sur ces réalités mouvantes. Observer les livreurs en mouvement, c’est aussi interroger nos propres manières de faire de la recherche, et repenser nos liens à la ville, au travail, à la solidarité.

En savoir plus sur l’atelier participatif

Atelier shadowing : outils pour une ethnographie mobile


Objectif : Découvrir ou approfondir la méthode ethnographique du shadowing. Permettre aux participants (étudiants, chercheurs) de s’initier ou de réfléchir collectivement à la méthode du shadowing en contexte de travail de plateforme, en se basant sur des cas réels, des données visuelles, des retours de terrain, et en ouvrant à des réflexions méthodologiques et éthiques. S’entraîner à observer des situations de travail en contexte urbain et numérique. Partager collectivement des retours de terrain et des expériences.

Public visé : Chercheurs, praticiens du terrain, étudiants et étudiantes en sciences sociales.

Biographies des intervenantes et intervenants

Enrico Donaggio : Directeur scientifique de l’Iméra, l’Institut d’études avancées d’Aix Marseille Université et directeur du programme de recherche Utopies Nécessaires.

Antonio Casilli : Professeur en sociologie, Télécom Paris / Institut Interdisciplinaire de l’Innovation (CNRS), Antonio Casilli est un sociologue franco-italien spécialiste du numérique, des plateformes et des nouvelles formes de travail. Il explore les relations entre intelligence artificielle, automatisation et micro-travail humain. Auteur de En attendant les robots (Seuil, 2019), il défend une lecture critique du travail numérique. Il est aussi impliqué dans des projets de recherche sur les droits numériques et la justice sociale à l’ère numérique.

Fabien Lemozy : Sociologue, chercheur à l’Institut de psychodynamique du travail (IPDT), spécialiste des impacts psychiques du travail, Fabien Lemozy analyse les effets de la gestion algorithmique sur les livreurs de plateformes. Ses recherches portent sur la souffrance au travail, la santé mentale, la précarité et les reconfigurations subjectives induites par les nouvelles organisations numériques.

Arthur Guichoux : Post-doctorant (Marie Sklodowska Curie) à l’Université de Liège, Arthur Guichoux travaille sur les mobilisations de travailleurs précaires et les alternatives aux plateformes numériques. Il s’intéresse notamment aux coopératives de livreurs et aux formes d’auto-organisation dans le secteur de la livraison. Ses recherches croisent sociologie du travail, sociologie politique et économie sociale et solidaire.

Claire Burban : Doctorante en géographie à Nantes Université – Laboratoire Espaces et Sociétés (ESO), Claire Burban mène une recherche sur la géographie sociale du travail des classes populaires dans les centres-villes, en s’intéressant particulièrement aux livreurs de plateformes et aux agents d’entretien. Son approche analyse les divisions sociales liées à l’organisation du travail, la géographie résidentielle et l’appropriation des espaces publics ou privés.

Alihan Gök : Chercheur et enseignant en philosophie politique à l’Université de Marmara, Alihan Gök mène actuellement, dans le cadre de la chaire LEST/Iméra – Les Mondes du Travail, le projet intitulé « Réapproprier la coopération sociale : possibilités et défis à l’ère des plateformes numériques ».

Federico De Stavola : Doctorant en sociologie, Université nationale autonome du Mexique (UNAM), Federico De Stavola étudie les mutations du travail dans les villes latino-américaines à travers le prisme du capitalisme de plateforme. Il analyse les logiques subjectives des livreurs, la domination algorithmique, les formes de résistance et les nouvelles conflictualités urbaines. Ses terrains actuels incluent Mexico, Buenos Aires, Rio de Janeiro et Bologna.

Thierry Berthet : Directeur de recherche CNRS au Laboratoire d’Économie et de Sociologie du Travail (LEST, UMR 7317 CNRS/amU).

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