Derrière l’image d’un travail flexible et libre, les livreurs à vélo et à moto vivent une réalité faite de précarité, de solitude et de pressions invisibles. À travers des images, vidéos et des sons captés lors de terrains ethnographiques à Istanbul et Marseille, cette installation dévoile leur quotidien : efforts physiques, risques urbains, contrôle algorithmique, mais aussi formes de résistance et d’inventivité. Suivant les livreurs dans leur mouvement, Alihan Gök propose un regard sensible sur le travail ubérisé, loin des clichés, au cœur des rythmes de la ville.

alihan gok et son velo ethnographie des livreurs

Image d’Alihan Gök modifiée par IA

Ch. 1 : Le petit mot du client

salim livreur getir scooter

Un mot sec, laissé sur l’application, un message anonyme tombé sans visage… Derrière l’écran, un client presse, exige, oublie. Un rire nerveux éclate, couvrant des menaces légères, glissées dans les éclats de voix. Ce n’est pas la route qui use. C’est l’algorithme muet, l’injonction invisible qui pousse, qui écrase, qui ronge. Et pendant que tout cela se trame, un chercheur suit les pas, écoute les silences, devient ombre parmi les ombres, témoin de ce qui, autrement, ne laisserait aucune trace.

Ch. 2 : Rechercher l’introuvable

Le plan s’efface. L’adresse promise par l’application se dissout dans les ruelles sans noms, des lieux abandonnés. Et quand la carte artificielle échoue, l’effort commence. Perdus entre des étages, des ruelles, des bidonvilles sans nom, les livreurs tracent des chemins que la technologie ignore. Derrière chaque livraison : une aventure invisible, un travail vivant…

un livreur dans un hangar

Ch. 3 : C’est nous la carrosserie !

un livreur fumant une cigarette

Exposés au vent, au bruit continu, au risque, à l’oubli… Les livreurs à moto ne traversent pas seulement la ville : ils affrontent le danger à chaque respiration, porteurs d’une vie vulnérable, menacée par la vitesse et par la rudesse de l’asphalte, dont la friction dévore tout.

Ch. 4 : Travailler, s’user, ruser

Les corps brisés et les gains qui s’évaporent d’un côté ; les astuces pour tenir, les failles du système à exploiter de l’autre. Plus qu’un simple métier précaire, c’est une course contre l’usure, une lente descente dans un piège. Le travail de livreur devient un pari contre la fatigue, un jeu incertain contre l’effritement du corps et du temps.

des livreurs a velo electrique attendant leurs commandes

Ch. 5 : 60 000

un livreur a pied regardant au loin

60 000 pas par jour. Sous la pluie, dans les escaliers en spirale, sur les pentes à 10 %. À pied, avec des chaussures usées, ils traversent des quartiers denses sans pause, sans souffle. Espérant un vélo ou un scooter un jour, ils livrent pour l’instant en silence dans la verticalité ignorée des rues d’Istanbul. Le regard vide dans les yeux, ils avancent, ployant sous le poids fantomatique de l’algorithme. Des corps qui s’effacent à force d’effort, tandis que la plateforme promet, avec ironie: “Restez en forme en gagnant de l’argent !”

Ch. 6 : Le rêve d’un clic

Derrière l’affiche légère d’une publicité, l’ombre d’un monde : celui du travail invisibilisé des livreurs. Chaque livraison porte l’espoir d’une mobilité sociale, et le fantasme silencieux d’inverser les rôles — sans bouleverser l’ordre. Commander devient un acte d’appartenance : un geste minuscule pour sentir, un instant, la possibilité d’être de l’autre côté de la relation de servitude.

affiche dans le metro un enfant savourant une glace

Ch. 7 : Ce qu’on regarde sans voir

un livreur de dos emportant une commande

Devant un fast-food, des livreurs sans papiers attendent. Certains soutiennent le regard, d’autres refusent la caméra. L’inquiétude flotte, mêlée à l’espoir d’un compte à louer. Ils roulent « comme des fous », sans jamais se plaindre. Dans la rue, on n’échange pas que des repas, mais des regards, des silences prudents, des présences dissimulées. La parole est fragile, le travail bien réel. Les vêtements masquent les marques du risque pris. On le sait tous.

Ch. 8 : A l’ombre de la nuit

Quand la ville s’assombrit, les contours s’effacent. La nuit brouille les visages et les frontières. Les livreurs partagent une même vulnérabilité : celle des rencontres incertaines, des menaces invisibles, et d’une solitude déplacée mais ne veulent surtout pas la montrer cette inquiétude cachée derrière leur virilité. Entre la complicité des motards arrêtés au feu rouge et la méfiance silencieuse, la nuit révèle une autre géographie sociale.

un guidon de moto dans un tunnel

Pour en savoir plus sur le projet de recherche d’Alihan Gök à l’Iméra, consultez sa page résident ci dessous :