Dans le cadre de la Grande Fête du Travail du collectif ArTLib prévue les 15 et 16 mai 2025, l’Iméra vous propose une rencontre avec José Rose, professeur émérite de sociologie du travail, membre d’ArTLib et créateur du jeu TraLib. Des parties seront proposées jeudi 15 mai de 15h à 17h en salle des conférences de la Maison Neuve pour les curieux.

interview jose rose tralib

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis José Rose, professeur émérite de sociologie à Aix Marseille Université. Je suis économiste de formation, puis sociologue du travail plus précisément. J’appartiens au Laboratoire d’Economie et de Sociologie du Travail (UMR 7313, CNRS/amU) dont l’objet de recherche est, comme son nom l’indique, le travail et toutes ses questions environnantes. Je participe depuis sept ans à l’Atelier de recherche Travail et Liberté (ArTLib) de l’Iméra, Institut d’études avancées d’Aix Marseille Université.

Un serious game sur le travail

Pourquoi avez-vous eu envie de créer un serious game sous forme de jeu de cartes ?

En étant à la retraite, j’ai justement gagné en temps et en liberté. Continuer à participer à ArTLib m’a donné un espace de liberté supplémentaire qui décuple l’imaginaire. J’ai toujours pensé que le débat autour du travail était central à nos vies et que chacun avait beaucoup à dire. Aujourd’hui, l’urgence n’est plus d’écrire un énième manuel de sciences du travail, mais d’échanger nos points de vue et de partager nos expériences du travail. Le jeu me paraissait idéal comme média. Le serious game a l’avantage de combiner l’aspect ludique et la réflexion autour de notre propre rapport au travail, comment on se comporte lorsqu’on appartient à un collectif, comment on se positionne dans les débats de société sur cette thématique, etc. Les possibilités sont immenses.

Comment joue-t-on à TraLib ?

TraLib (TraLib = Travail Liberté, ndlr) est un jeu de cartes et un jeu de conversation. On ne joue pas pour gagner, le plaisir d’une partie est de prolonger et d’enrichir une conversation autour du travail. Chaque joueur incarne différents personnages au cours de plusieurs séquences. Il y a donc aussi un côté jeu de rôle. Le fait d’incarner différents rôles du monde du travail (emploi alimentaire, faiseur d’embrouille, militant, néo-esclave, etc.) et de ne pas être soi, donne de la liberté au joueur et l’oblige à changer de perspective. Le jeu est assez varié et interactif, car il y a un grand nombre de personnages à disposition, mais aussi des cartes vierges pour que les joueurs ajoutent eux-mêmes des personnages ou des situations.

Au cours de la première séquence, les joueurs font face à des cartes événements auxquelles ils vont devoir réagir ensemble en discutant. Puis, ils passent aux cartes projets à réaliser collectivement comme inventer un dispositif innovant ou encore améliorer la qualité de vie au travail. Comme dans la vie, les joueurs, par leur personnage, se retrouvent au cœur d’une équipe non choisie et doivent faire face à l’imprévu et à la variété de réactions possibles. Enfin, la dernière séquence consiste à piocher quatre cartes personnages et discuter au sein du groupe pour les classer du moins libre au plus libre. Sauf que ce n’est pas si simple de réfléchir à ce que représente la liberté, et surtout, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse.

Un jeu qui s’est nourri des échanges de l’atelier de recherche Travail et Liberté

Comment votre approche de sociologue du travail a nourri la conception de ce jeu ?

Ce jeu est né au sein d’ArTLib, il a été nourri de nos échanges, ainsi que par la production de notre premier livre qui portait sur le travail et la liberté. Ces thématiques se retrouvent au cœur de mon jeu TraLib. En tant que sociologue, j’ai accumulé un certain nombre de connaissances sur l’histoire du travail, les métiers, les situations et tout un tas de choses qui sont en arrière-plan de ce jeu. L’apport principal a été le matériel mis à disposition sur les fiches personnages tel que les repères historiques, les références d’articles ou encore la mise en avant de la variété possible d’incarnations de chaque personnage. Étant sociologue du travail, j’ai un certain regard sur le travail, les personnages et les situations que je propose en sont donc imprégnées.

À qui s’adresse ce jeu ?

Je l’ai testé d’abord à l’université auprès des étudiants et des enseignants. Il s’adapte bien aux enseignements de sciences du travail (économie, sociologie, gestion, ergonomie, psychologie) et peut être utile pour les enseignants qui expérimentent des innovations pédagogiques, à l’Inspé par exemple. Un autre public possible est celui des services d’aide à l’orientation et l’insertion à l’université ou même en fin de lycée. Ce jeu peut constituer un moment de démarrage avant de se lancer dans ses recherches d’emploi ou dans la construction de son CV. On peut donc aussi penser à France Travail et aux missions locales. On peut aussi imaginer que TraLib soit utilisé par les ressources humaines lors des séminaires d’intégration ou encore proposé dans le cadre de team-building. J’ai aussi pour ambition de tester le jeu auprès des organisations syndicales et des salariés.

Qu’aimeriez-vous que les joueurs retiennent ou expérimentent en jouant à ce jeu ?

L’une des principales choses à retenir, c’est que le jeu ne doit pas être utilisé pour évaluer les participants et leurs réactions. Participer à un serious game implique un contrat de confiance où la partie constitue un espace protégé et surtout fictionnel pour le joueur. Sans confiance, il n’est plus libre de jouer.

J’aimerais surtout que les joueurs retiennent qu’on ne choisit pas ses collègues, mais que travailler de façon collective avec des profils qui ne nous ressemblent pas est faisable. La variété imposée produit des choses inattendues et souvent plus positives qu’on ne l’imagine. Cela saute aux yeux lors d’une partie de TraLib. Les participants garderont sûrement leurs avis divergents à la fin, mais d’avoir joué une partie leur a au moins offert un temps de liberté où expérimenter d’autres points de vue.