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Soulier Lola

Disciplines : Musique
Poste et institution de provenance : Musicologue et hautboïste
Type de résidence : Résidence annuelle
Chaire : Résidence Mucem / Iméra
Programme de recherche : Arts & Sciences : savoirs indisciplinés, Méditerranée
Période de résidence : Septembre 2024 – Janvier 2025
Présentation vidéo de Lola Soulier
Actuellement en résidence à l'Iméra

Projet de recherche

Interactions Roseau/Homme en Méditerranée hier et aujourd’hui

Résumé du projet

Le projet de recherche de Lola Soulier à l’Iméra, Institut d’études avancées d’Aix-Marseille Université, vise à explorer les liens sensibles qui unissent l’homme au roseau. En utilisant une approche interdisciplinaire, l’étude met en lumière la dimension autant technique que spirituelle de la relation à au roseau dans les anciennes cultures méditerranéennes et l’urgence de renouer avec les multiples usages artisanaux, agronomiques, et musicaux qui faisaient autrefois vivre les sociétés en harmonie avec cette plante civilisatrice.

Le roseau à l’ère du plastique

Le roseau Arundo donax (appelé aussi canne de Provence ou roseau à musique) a contribué de manière majeure au développement des civilisations orientales et méditerranéennes. Véritable compagne de l’homme, cette graminée à la fois robuste et flexible a fait l’objet d’usages très diversifiés en Asie Centrale (Iran, Afghanistan) dont elle est native, puis du Moyen-Orient et du pourtour méditerranéen où elle a très anciennement été répandue par l’homme. Calame des scribes, flèche meurtrière des Romains, instrument de musique, plante médicinale, matériau pour la vannerie et les peignes des métiers à tisser ; le roseau a longtemps été indispensable à de nombreux domaines de la vie rurale, artisanale, domestique et artistique. Au cours du xxe siècle, diverses dynamiques telles que la perte des communs, des savoir-faire artisanaux, les bouleversements des modes de production agricole, et l’industrialisation du monde de la musique, ont porté atteinte à notre capacité à interagir de manière sensible avec le roseau. Autrefois plante civilisatrice et créatrice de liens fructueux entre les civilisations, elle est aujourd’hui méconnue, pourchassée en tant qu’espèce invasive, et progressivement délaissée au profit du plastique en facture instrumentale. Cependant, peu de recherches ont jusqu’à présent examiné en profondeur l’impact de la perte du lien au roseau dans les cultures méditerranéennes, alors même que jusqu’au siècle dernier, nous étions encore une société du roseau, où la canne de Provence pouvaient être qualifiée de véritable bambou d’Europe.

Le Projet « Interactions Roseau/Homme en Méditerranée hier et aujourd’hui » : renouer avec les savoir-faire musicaux et artisanaux anciens et traditionnels

Le projet de recherche « Interactions Roseau/Homme en Méditerranée hier et aujourd’hui », dirigé par Lola Soulier à l’Institut d’études avancées d’Aix-Marseille Université (Iméra), part du constat que les transformations en cours dans le monde de la facture des anches pour instruments à vent mettent en péril les dernières pratiques de cultivation du roseau. De même que notre société du roseau a disparu, le lien entre les musiciens et le végétal s’est désintégré au cours du xxe siècle. Les secrets de fabrication n’ont pas été transmis et les conditions de travail modernes, visant à l’uniformisation et la rentabilité, ne permettent pas aux fabricants d’acquérir les connaissances empiriques nécessaires pour mettre une bonne qualité de roseau à disposition des musiciens. Les producteurs d’anches ne comprennent plus l’importance de sélectionner un roseau à musique flexible et élastique. Par voie de conséquence, les anches vendues sur le marché sont trop rigides et trop sèches, elles n’offrent pas les qualités vibratoires nécessaires et se conservent mal. Les musiciens, n’ayant pas les compétences requises pour comprendre l’origine du problème, se tournent en désespoir de cause vers les anches en plastique. Afin de redonner vie aux savoir-faire ancestraux et de revaloriser la culture et l’utilisation de ce végétal exceptionnel qui pousse en profusion sur le littoral méditerranéen, le projet propose une approche novatrice en réunissant l’organologie, l’ethnomusicologie et l’ethnobotanique, ainsi que les disciplines artistiques et techniques, comme l’art contemporain, la musique ancienne et le design.

Une approche interdisciplinaire et transculturelle pour réinventer notre relation au roseau

Depuis une dizaine d’années, Lola Soulier explore les techniques anciennes et traditionnelles de fabrication des anches de hautbois en roseau. Elle mène sa recherche en musicologie sur la facture historique des anches doubles pour le hautbois, le basson et les cornemuses en étudiant d’une part les sources historiques et en étudiant d’autre part les traditions d’instruments à anche double en Arménie, en Bretagne, et dans le Languedoc. Elle a établi au cours de ses recherches des ponts entre la facture instrumentale, l’artisanat, l’agronomie, l’art et le design. Cette approche interdisciplinaire permet d’enrichir la connaissance de la plante, de redécouvrir des techniques ancestrales, et de développer des savoir-faire complémentaires à ceux de la facture instrumentale.

La vigne & le roseau

Le cœur du projet « Interactions Roseau/Homme en Méditerranée hier et aujourd’hui » consiste à étudier en profondeur les usages anciens et modernes de la canne de Provence en Méditerranée. Les pratiques agronomiques associées à d’autres espèces que le roseau, qui mettent en jeu la transformation du végétal en un produit culturel complexe et chargé d’une longue histoire symbolique, à l’instar de la vinification, sont également un point important de sa recherche. En effet, les vignerons comme les musiciens, font face à des enjeux multiples liés à la mécanisation, la digitalisation, aux pressions économiques, et à la perte des sens, et à la modification du goût. Ainsi, l’approche comparative de ces deux pratiques permet de révéler les transformations subtiles et profondes qui affectent non seulement les pratiques agricoles et musicales, mais aussi la relation au végétal et à la culture.

Retrouver le lien sensible à la plante

Le projet se décompose en deux volets complémentaires. Le premier volet porte sur l’étude des collections et des sources historiques de la région d’Aix-Marseille. Lola Soulier se concentre particulièrement sur les collections du Mucem qui témoignent et gardent de manière exceptionnelle la mémoire de l’ancienne société du roseau qui était la nôtre. Le deuxième volet se concentre sur les interactions possibles actuelles avec la plante et les savoir-faire, et met en œuvre une étude interdisciplinaire de terrain avec des artistes, des designers, musiciens, fabricants d’anches pour lesquels le lien au roseau ou à l’ancienne culture du roseau s’avère fructueux. Des ateliers de co-construction rassembleront chercheurs, musiciens et artistes pour élaborer des outils et des approches transformateurs prenant en compte le lien sensible au végétal et à la vibration de la matière.

Biographie

Après une double formation supérieure en littérature et en musique, et avoir exercé le métier d’hautboïste baroque, Lola Soulier, s’est tournée vers la musicologie avec l’objectif d’étudier et les techniques anciennes et traditionnelles en facture instrumentale.

En tant que hautboïste professionnelle, elle été confrontée, à des difficultés et contraintes en jouant des copies de hautbois baroques modifiés par rapport aux originaux et en utilisant des anches dont la facture était inadaptée à ces instruments. Ces difficultés se sont manifestées en particulier en termes de flexibilité de jeu et d’expressivité. Le manque d’authenticité qu’elle a pu mettre au jour dans sa pratique professionnelle, loin d’être un simple problème sur le plan déontologique, lui a paru constituer un frein majeur à la beauté et la vitalité des interprétations actuelles du répertoire ancien

En 2012, elle a commencé à explorer les techniques traditionnelles de fabrication des anches en collaboration avec le facteur de hautbois languedocien Bruno Salenson (1958-2018) à Nîmes, et a pu acquérir des techniques basées sur les mêmes principes que ceux utilisés par les anciens. Afin d’approfondir et de documenter ses recherches, elle a suivi une formation de master en musicologie à la Sorbonne. C’est dans ce cadre académique qu’elle a pu approfondir des questions qui relèvent de l’organologie et de l’ethnomusicologie. Aujourd’hui doctorante, elle poursuit ses recherches en pratique sur la fabrication des anches, en accordant un soin tout particulier à la redécouverte des méthodes de sélection et de production du roseau à musique.

De 2022 à 2024, elle s’est formée en Arménie au jeu de duduk et de zurna (hautbois arméniens) auprès du maître Gevorg Dabaghyan, ainsi qu’à la récolte traditionnelle du roseau (Arundo donax) avec le fabricant d’anches de duduk arménien, Hovhannes Khudaverdyan. En s’appuyant sur les recherches de ses prédécesseurs en musique ancienne, sur l’étude des sources historiques matérielles (hautbois originaux, anches, outils de fabrication des anches) et des sources écrites et iconographiques, elle est parvenue à faire refaire les outils anciens de fabrication des anches par des orfèvres et à se familiariser avec les gestes et techniques de fabrication des anches anciennes. Cette approche a été très fructueuse et lui a permis de fabriquer des anches aux qualités vibratoires qui permettent de jouer les instruments anciens avec souplesse et expressivité.

En 2023, Lola Soulier a reçu le prix autrichien de la recherche PFS pour son mémoire de master sur le hautbois en France à la fin du xviiie siècle et a publié un article sur la pratique des instruments à vent historiques dans l’ouvrage collectif de Bärenreiter Alte Musik heute : Geschichte und Perspektiven der Historischen Aufführungspraxis.

Lauréate de l’appel à projets « Recherche en musique 2023 : collaborations entre jeunes chercheurs/chercheuses et artistes » du Ministère de la Culture, elle a réalisé au printemps 2024 l’exposition « Conversations avec le roseau » au Musée-Institut Komitas d’Erevan, en collaboration avec le collectif franco-arménien AHA. Cette exposition a permis de mettre en lumière les liens étroits entre l’homme et le roseau, des rives de l’Araxe au bassin méditerranéen.

Appels à candidature

Les résidences de recherche que propose l’Iméra, Institut d’études avancées (IEA) d’Aix-Marseille Université, s’adressent aux chercheurs confirmés – académiques, scientifiques et/ou artistes. Ces résidences de recherche sont distribuées sur quatre programmes (« Arts & sciences : savoirs indisciplinés », « Explorations interdisciplinaires », « Méditerranée » et « Utopies nécessaires »).