marie montant chercheur

© DR

Montant Marie

Disciplines : PsychologieSciences cognitives
Poste et institution de provenance : Maîtresse de conférences en neurosciences, Laboratoire de Psychologie Cognitive, Equipe Psychologie Cognitive Comparée, CNRS et Aix Marseille Université et Institut du Langage, de la Communication et du Cerveau, CNRS
Type de résidence : Congé-recherche
Période de résidence : Septembre 2021 – Mars 2022

Projet de recherche

L’évolution du langage dans une perspective non anthropologique : une approche transdisciplinaire pour un nouveau paradigme

Résumé du projet

Dans les sciences cognitives, l’évolution du langage humain est souvent abordée dans une perspective strictement humanisée.

Autrement dit, la plupart des études en psychologie cognitive et en neurosciences qui comparent des animaux humains à des animaux non humains se concentrent sur des composantes cognitives humaines particulières (p. ex., syntaxe) ou des structures neuroanatomiques humaines (p. ex., la profondeur d’un sillon particulier).

Sans surprise, ces composantes et structures humaines sont sous-développées ou manquantes chez les animaux non humains. Ces propriétés absentes ou peu développées sont classiquement considérées comme partiellement responsables de la différence de complexité entre le langage humain et d’autres systèmes de communication animale, et sont présentées comme des caractéristiques « uniques » potentielles (ce qu’on appelle « l’unicité humaine »).

Une mise en garde majeure dans les comparaisons centrées sur l’homme consiste à supposer (non répétitivement) que les architectures cognitives non humaines doivent ressembler à l’architecture cognitive humaine, en partie ou dans son ensemble.

1) si les architectures cognitives humaines et non humaines avaient suivi des voies évolutives similaires et étaient adaptées à des contraintes environnementales, sociales et biologiques comparables,

2) si l’architecture cognitive de chaque espèce était une construction composée de composantes cognitives indépendantes (non interactives) qui ne sont pas sensibles aux facteurs interactifs de développement et phylogéniques.

Étant donné que chaque espèce a une histoire unique conduisant à une architecture cognitive unique, cela semble être une vaine entreprise de recherche de composants spécifiques à l’homme chez les animaux non humains. De même, essayer de prouver l’absence de composants humains spécifiques dans les architectures non humaines n’a pas beaucoup de sens non plus.

Comme il n’est plus viable de considérer l’homme comme l’espèce normative à laquelle les animaux non humains devraient être comparés, j’aimerais développer un paradigme alternatif. Pour préciser ce paradigme, je suggère deux axes de recherche.

Premièrement, je propose d’examiner le contexte de la fonction du langage humain, à savoir les éléments hérités de domaine général de « la machinerie nécessaire pour maîtriser le langage humain » (Saffran et Thiessen, 2008), que nous partageons avec d’autres espèces, en particulier les primates. L’hypothèse sous-jacente que j’appuie ici est que les fonctions cognitives humaines complexes et phylogénétiques récentes, y compris le langage, sont probablement le résultat d’une réutilisation et d’une recombinaison intenses de sous-ensembles de composantes anatomiques, cognitives et comportementales héritées (Anderson, 2010). Les espèces proches sur le plan phylogénétique peuvent partager avec les humains une combinaison de certains de ces composants (mais pas tous), comme soutien de la communication et/ou d’autres fonctions cognitives. Par exemple, l’organisation sérielle et la structuration des éléments que nous trouvons dans le traitement de la syntaxe pourrait ne pas être spécifique au langage, mais pourrait dériver de capacités de mémoire à court terme qui pourraient aussi bien être impliquées dans la planification de séquences motrices complexes chez l’homme (Koechlin et Jubault, 2006), chez d’autres primates (et même chez les oiseaux, y compris des séquences de chants d’oiseaux ; Suzuki, Wheatcroft et Griesser, 2016).

Deuxièmement, je propose d’étudier la nature de la complexité dans les systèmes de communication des espèces lointaines (comme les cétacés) en regardant leurs Umwelten et Umgebung (von Uexküll, 1956). Ces termes expriment le fait que chaque espèce perçoit, habite et comprend son monde en fonction de son équipement sensoriel spécifique, de sa biologie, de sa motivation, de son environnement social et de son écologie. Par conséquent, pour comprendre le système de communication d’une espèce donnée, il faut étudier comment cette espèce particulière interagit et donne un sens à son monde (zoosémiotique, voir Martinelli 2010).

Ensuite, la comparaison entre deux espèces distantes (sur le langage/communication ou d’autres capacités cognitives) peut être faite en se concentrant sur des solutions convergentes. Des solutions convergentes ou des analogies sont observées lorsque des groupes d’animaux phylogénétiquement éloignés proposent des solutions similaires pour résoudre des problèmes similaires. Par exemple, les mammifères et les céphalopodes ont développé au fil du temps des yeux de type caméra assez semblables, bien que ces deux taxons aient évolué séparément depuis plus de 500 millions d’années. Je propose que des systèmes de communication aussi complexes soient apparus séparément pendant l’évolution chez les cachalots et les humains. Pour que cette convergence se produise, les deux espèces devaient répondre à trois « conditions de possibilité » particulières : les gros cerveaux, la dextérité vocale et la souplesse, et l’organisation eusociale avec les générations se chevauchent. Les humains et les cachalots remplissent ces conditions.

Confrontés à des pressions de sélection similaires, ils ont pu développer au fil du temps des solutions complexes à des fins de communication. La convergence réside ici uniquement dans la complexité, c’est-à-dire dans la capacité de combiner de manière flexible des unités d’information distinctes de plusieurs façons, mais pas dans le système de communication en soi. Mon projet est de mieux comprendre le système de communication et les capacités combinatoires des cachalots en étudiant leur Umwelt et Umgebung.

Biographie

Marie Montant est Enseignante-Chercheuse en Neurosciences Cognitives dans le Laboratoire de Psychologie Cognitive à Marseille. Son sujet de recherche est le langage humain dont elle tente de comprendre les similitudes et les différences avec les systèmes de communications animaux.

Ses recherches l’ont amenée à s’interroger sur l’évolution phylogénétique du langage et la place des émotions dans l’architecture cognitive humaine dédiée à cette fonction. Elle fait partie de l’équipe Psychologie Cognitive Comparée qui est implantée sur une plateforme primates du CNRS et travaille de ce fait en étroite collaboration avec plusieurs groupes de babouins (Papio papio et Papio anubis). Elle milite pour que l’on arrête de présenter les chercheur.e.s à grand renfort de listes de publications et autres « bidules » prestigieux.

Appels à candidature

Les résidences de recherche que propose l’Iméra, Institut d’études avancées (IEA) d’Aix-Marseille Université, s’adressent aux chercheurs confirmés – académiques, scientifiques et/ou artistes. Ces résidences de recherche sont distribuées sur quatre programmes (« Arts & sciences : savoirs indisciplinés », « Explorations interdisciplinaires », « Méditerranée » et « Utopies nécessaires »).