Présentation du premier cycle de conférences « L’Islam face aux défis des temps modernes »

La chaire Averroès inaugure un cycle d’études et de recherches sur l’Islam contemporain face aux défis du XXIe siècle. Pourquoi Averroès ? La première conférence du cycle répond à cette question. Averroès a repensé le statut de la loi grâce à une herméneutique particulière qui ouvre la voie de la liberté aussi bien à l’interprète qu’au croyant.

Parmi les défis majeurs auxquels l’Islam doit faire face, il faut considérer prioritairement la question de la norme démocratique et des droits de l’homme. Pour cela, il faut désenclaver l’Islam d’une certaine interprétation fixiste de la loi pour lui permettre de s’ouvrir à la pensée démocratique. Mais, pour cela, il faut d’abord désenclaver la norme démocratique elle-même du relativisme historico-culturaliste dans lequel veulent la maintenir les théories politiques antidémocratiques, comme le fascisme, ou encore le radicalisme religieux.

Cette ouverture ne peut être possible que par la voie d’une rupture radicale avec l’orthodoxie de masse qui a encadré la pensée islamique depuis des siècles. L’orthodoxie de masse qui explique aussi  bien le prosélytisme, que la violence, doit être remplacé par une nouvelle culture, celle de la tolérance. Le  problème, c’est que la tolérance ne fait pas partie, à l’origine, des principes directeurs de la religion. C’est par un jeu complexe de déstructuration intellectuelle et de reconfigurations linguistiques que l’Islam s’acclimate peu à peu à cette  culture de la tolérance.

Ce cycle de conférences a été possible grâce au soutien de la Fondation de l’Islam de France et de l’initiative d’excellence A*Midex d’Aix-Marseille Université en partenariat avec les Rencontres d’Averroès.

Yadh Ben Achour, premier titulaire de la chaire Averroès (A*Midex / Iméra)

Yadh Ben Achour est juriste, spécialiste de droit public et des théories politiques en islam. Ancien doyen de la Faculté des sciences juridiques de Tunis, ancien président de la Haute instance de la Révolution, membre du Comité des droits de l’homme des Nations Unies. Il est notamment l’auteur de Aux fondements de l’orthodoxie sunnite (PUF, 2008), de La Deuxième Fatiha. L’islam et la pensée des droits de l’homme (PUF, 2011) et de Tunisie, une révolution en pays d’islam (Cérès Editions, 2016).

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Conférence #1 – 27 septembre 2018

Averroès et les autres. Introduction à l’Islam de la liberté.ns de styles

Dans l’ensemble des religions du monde, l’islam a le privilège de quasiment monopoliser les débats politiques et l’opinion mondiale. Malheureusement, il est jugé à travers des prismes idéologiques, des raccourcis ou des jugements hâtifs qui ont pour résultat de le comprendre, comme l’expression du fixisme intellectuel, de l’intolérance et de la violence, autant de caractères qui seraient inscrits dans son essence même, en tant que religion.
Averroès représente le chef de file d’une longue lignée de penseurs critiques qui ont réussi à mettre en cause ce présupposé essentialiste sur l’islam. Au-delà du débat philosophique, le véritable enjeu tourne autour du statut de la loi «sacrée» et de son interprétation. Averroès est l’un des premiers à avoir désacralisé la loi, ouvrant ainsi la porte à la liberté de l’interprète et du croyant. Cette porte ne se refermera jamais.

Conférence #2 – 29 novembre 2018

Sur le concept d’orthodoxie de masse.

Le concept d’orthodoxie de masse dérive de quelques idées clé. En premier lieu, le caractère civil de la religion islamique, prouvé par toute la théorie (théologie, écoles juridiques, doctrines politiques) et les pratiques constitutionnelles historiques de l’islam. L’État islamique se pose comme un État de croyants, monades en relation directe avec Dieu.
C’est dans cette situation de sublime, bien qu’effroyable isolement, que tout individu doit, sans intermédiaire, affronter l’univers sidéral qui le sépare de Dieu. La religion «islam» est l’origine d’une structure mentale qui met en scène le multiple, face à l’Unique, que cet unique soit le divin lui-même ou son seul représentant sur terre, le prince des croyants. L’absence d’Instance religieuse constitutionnellement autonome, l’unité du pouvoir politique et des gestionnaires du savoir sacré et du culte expliquent la politisation particulière de la religion islamique à travers l’histoire. L’élite du savoir religieux disserte et la masse consacre. Cela provoque à la fois la constitution de l’orthodoxie majoritaire et des religions dérivées.

Conférence #3 17 janvier 2019

L’universalité de la norme démocratique et l’Islam.
La norme démocratique face au relativisme historico-culturaliste.

Comment sortir la norme démocratique du relativisme dans lequel veulent l’enfermer les partisans des particularismes culturels ou ceux qui configurent l’identité en fonction d’une mémoire collective sélective et exclusive ?
Comment démontrer, autrement que par des pétitions de principe, que la norme démocratique n’appartient à aucune culture, qu’elle est constitutive de l’Humain ?
Comment prouver la supériorité morale de l’humanisme démocratique qui considère l’homme et sa liberté comme les fins ultimes de la cité politique, sans égard à des fins plus ultimes encore ?
Le seul principe philosophique susceptible de servir de fondement universel à la norme démocratique est le principe de non-souffrance. Il faudra l’expliquer et le justifier.

Conférence #4 – 31 janvier 2019

L’universalité de la norme démocratique et l’Islam.

Pour certains penseurs, l’islam n’aurait aucune difficulté à admettre l’universalité de la norme démocratique et la philosophie des droits de l’homme qui l’accompagne.
Pour les tenants de ce que nous pouvons appeler le radicalisme religieux, ces idées sont d’extraction occidentale et constituent une négation des préceptes de l’islam et des droits de Dieu. Quelle interprétation peut-on leur opposer ?

Conférence #5 – 25 avril 2019

Conversion, violence et tolérance.
Approche comparée entre l’Islam et le christianisme.

Au départ, au moment de son éclosion, et encore plus au cours de son histoire future, toute religion construit des territoires : le sien propre et ceux de l’Autre. En cela, rien ne différencie la religion de la politique. Et vis-à-vis de l’Autre, toute religion aspire à gagner des adeptes par la conversion. Chaque religion apporte ses arguments, sa sagesse, ses miracles, ses preuves et ses témoignages, en vue de convaincre l’Autre de la justesse de ses dogmes et de solliciter puis d’obtenir son adhésion. La conversion procède de la nature même de la religion. Jusqu’où peut-elle aller ? Comment faire admettre par les religions œcuméniques le principe de tolérance qui ne fait pas partie de leurs principes ?

Conférence #6 – 6 juin 2019

L’islam et la révolution.

Dans l’histoire du monde musulman, les révoltes n’ont jamais été comprises par les docteurs de la loi, les théologiens, les philosophes, les hommes de lettres, autrement qu’en termes de «désinstauration du monde».
Cette désinstauration du monde à laquelle appartient le phénomène révolutionnaire s’inscrit dans l’immense cycle du temps à trois faces décidé par le Créateur. Ce cycle comprend le temps originel de l’instauration de l’ordre du monde et des êtres, dérivant de la volonté absolue de Dieu, ensuite et en second lieu, les temps de la dèsinstauration de cet ordre par le mal humain, à commencer par le «péché de l’arbre» qui valut à l’homme la chute dans le temps terrestre et la vie souffrante, enfin et en troisième lieu les temps de la restauration de cet ordre, soit par l’effet direct de la volonté divine agissant surnaturellement sur les événements, soit par l’action salvatrice de l’homme pour juguler et extirper les racines du mal. Une «révolution» par conséquent s’inscrit dans le segment temporel de la désinstauration de l’ordre divin et naturel. Elle est fitna, désordre et trouble, et figure en bonne place dans les recueils de hadiths, les livres d’hérésiographie et les traités de droit, en tant que vecteur du mal humain. Quelle destructuration de la pensée et quelles reconfigurations linguistiques ont pu rendre l’idée de révolution concevable dans le monde musulman ?

Présentation du deuxième cycle de conférences « Les langages politiques en Islam »

La question du politique en Islam, de ses manifestations et de son rapport au religieux, reste l’un des thèmes majeurs qui animent les débats non seulement académiques, mais aussi publics et médiatiques. L’idée largement répandue est celle d’une religion foncièrement politique, d’un système où le politique et le religieux se confondent pour former un modèle théocratique, d’où l’incapacité de l’Islam à rejoindre la modernité. Ce paradigme, renforcé par les doctrines fondamentalistes, empêche une juste appréciation des pluralités des expériences politiques en Islam, de la nature séculière des pouvoirs ayant exercé dans le monde islamique. Ce monde, construit autour d’un empire, d’une économie globale, d’une culture politique, d’un univers visuel, d’un habitus social et d’un langage commun disparaît à l’aube du XXe siècle pour des raisons multiples – dont la crise des sociétés impériales et la construction des identités nationales –, laissant la place à ce qu’on appelle aujourd’hui le monde musulman, où le mot ‘islam’ ne désigne plus guère que la religion musulmane.

Ce cycle de conférences se propose de réunir historiens, philosophes et spécialistes du Coran pour débattre de la nature du pouvoir politique en Islam, de la nécessité de « relire le Coran » en tenant compte du contexte politique et culturel dans lequel il a été codifié. Il s’agit de revenir aux premiers documents officiels de l’Islam pour comprendre la mise en place de politiques de gouvernement à l’adresse des différentes populations qui formaient l’empire islamique.

Ces conférences publiques se proposent d’analyser quelques textes fondateurs d’éthique et de philosophie politique qui rompent avec la prédominance du théologique sur le politique et permettent d’apprécier une pensée politique en Islam largement ignorée.

De nouveaux langages politiques en Islam s’élaborent aujourd’hui. Saurons-nous les découvrir et les comprendre ? Telle est la vocation et la raison d’être de ce cycle de conférences publiques.

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Conférence #1 – 28 janvier 2021

Le califat à l’épreuve de l’histoire : retour sur la pratique du pouvoir dans la longue durée de l’Islam

Avec Sobhi Bouderbala, maître assistant à l’université de Tunis et titulaire de la chaire Averroès à l’Iméra (Institut d’études avancées de Aix-Marseille université). Spécialiste des débuts de l’Islam et de papyrologie arabe, il a notamment édité (avec Sylvie Denoix et Matt Malczycki), New Frontiers of Arabic Papyrology Arabic and Multilingual Texts from Early Islam, Brill, Leyde, 2017; et Julien Loiseau, professeur des universités, histoire du monde islamique médiéval, et responsable du projet européen HornEast. Horn & Crescent. Connections, Mobility and Exchange between the Horn of Africa and the Middle East in the Middle Ages (ERC).

Peut-on parler encore de califat en Islam ? Si le terme est largement utilisé et admis pour définir la nature du politique, depuis son appropriation par les réformateurs musulmans du début du XXe siècle, l’analyse historienne permet de nuancer sa validité en mettant en exergue la pluralité des pratiques politiques sur la longue durée. Ou comment remettre en cause la prédominance du religieux dans la sphère politique en Islam ?

Conférence #2 – 25 février 2021

Histoires et langages du Coran : autour du Coran des historiens

Avec Mohammad Ali Amir-Moezzi, professeur des universités, directeur d’études à l’École pratique des hautes études (EPHE). Spécialiste du Coran et du chiisme. Parmi ses ouvrages, Le Coran silencieux et le Coran parlant. Sources scripturaires de l’islam entre histoire et ferveur, CNRS, Paris, 2011; et Guillaume Dye, professeur d’islamologie à l’Université libre de Bruxelles, spécialiste des études coraniques et de l’histoire des débuts de l’Islam. Il est co-directeur du Coran des historiens, Cerf, 2019. 

Les études coraniques connaissent un essor important depuis quelques décennies, grâce au renouvellement des méthodes d’analyse et à la découverte de plusieurs codex coraniques du premier siècle islamique. La publication de la somme Le Coran des historiens en témoigne. Cette conférence reviendra longuement sur les différents langages du Coran, le processus de sa codification et le rôle du politique dans la canonisation du texte coranique. 

Conférence #3 18 mars 2021

Gouverner l’empire : politique et administration dans les premiers temps de l’Islam

Avec Arietta Papaconstantinou, Associate Professor à l’université de Reading (Angleterre), spécialiste de l’histoire religieuse, sociale et économique du Proche-Orient antique et médiéval. Elle est notamment l’auteure du Culte des saints en Égypte des Byzantins aux Abbasides : l’apport des inscriptions et des papyrus grecs et coptes, CNRS, Paris, 2001.

S’étirant de l’Asie centrale à l’Espagne au VIIIe siècle, l’empire islamique a gouverné des populations variées et a absorbé les cultures antiques qui ont largement contribué à la formation de ce qu’on appelle la civilisation islamique. Des milliers de documents écrits en grec, copte et arabe témoignent de la mise en place d’une administration impériale dont les mécanismes répondent au souci de diriger des sociétés cosmopolites, largement connectées, créant ainsi une nouvelle éthique de gestion des choses et d’administration des hommes.